Parcours de Drs Alumni: 60 minutes avec Wilma Lukas
« J’admire beaucoup les jeunes scientifiques qui sortent des sentiers battus et osent entreprendre. Cela ne se faisait pas à mon époque : ils sont plein d’enthousiasme. Il faut les encourager et les soutenir. »
Entretien avec la Dre Wilma Lukas, Fondatrice et Manager de W Life Sciences
Photo ©MM-ED·FBM
Fiche technique
- Date de naissance: 13 juin 1960
- Date du diplôme: 1984, UNIL
- Date de la thèse: 1999, UniGE
- Titre de la thèse: Structure and function studies of DUK1, the yeast two-pore potassium channel
- Directeurs de thèse: Pierre Spierer (Univ. Genève) et Dr Gary Buell (Geneva Biomedical Research Institute – GSK)
- Poste actuel: Consultant and Managing Director at W Life Sciences
Drs Alumni: Pourquoi avoir la choisi la biologie ?
Wilma Lukas: Il s’agit d’un choix difficile après le bac. J’étais en section littéraire, et j’aimais beaucoup la physique, les maths et la biologie. La médecine m’attirait, or les études duraient au minimum 6 ans ; cela me semblait trop long, car j’avais envie d’être rapidement autonome. La biologie était donc un compromis, que je n’ai pas regretté par la suite. J’ai débuté dans les années 80, lorsque la biochimie et la biologie moléculaire commençaient à se développer. Cet aspect de la biologie m’intéressait vraiment : développer des traitements pour soigner des maladies.
A la fin de votre diplôme, le doctorat était-il une option ?
Mon souhait était, avant tout, celui d’être plus indépendante et d’entrer dans la vie professionnelle. J’ai donc trouvé un poste au CHUV (nb : Centre hospitalier universitaire vaudois) au sein d’un laboratoire de recherche en biochimie. Cette expérience m’a permis d’acquérir les bons réflexes; c’est-à-dire à devenir très rigoureuse, à prendre soin des détails et à avoir une bonne compréhension de ce qu’on réalise au niveau expérimental.
Mais vous avez tout de même fini par vous lancer dans une thèse…
J’ai ensuite été engagée au Glaxo Institute of Molecular Biology à Genève. A l’époque, c’était un institut de recherche prestigieux, avec beaucoup de scientifiques venus de tous les pays d’Europe et des Etats-Unis. Cela me convenait mieux ; j’ai réalisé que j’avais besoin de diversité, d’évoluer, de mener des recherches dans plusieurs aires thérapeutiques différentes. A un moment donné, le directeur de l’institut m’a demandé « Mais pourquoi ne ferais-tu pas une thèse ? ». Et c’est ainsi que je me suis lancée dans le doctorat. J’avais désormais un salaire d’étudiante, mais j’ai tenu bon, avec motivation, passion et enthousiasme. Après quelques années, j’avais enfin achevé tout le travail nécessaire pour écrire ma thèse, et …c’est là que l’institut a fermé.
Oh non !
Oh, un peu de piquant dans vie, c’est bien ! L’institut avait été repris par Serono, et j’ai été engagée en tant que scientifique. La manière de travailler était très différente. L’institut Glaxo menait de la recherche pure, alors que Serono développait une recherche plus orientée industrie. Je suis donc restée après le travail, jusqu’à 10 heures du soir, pour rédiger ma thèse et réviser; mes collègues effectuaient des relectures: ces six mois ont été difficiles, mais excitants !
C’est intéressant que vous ayez fait une thèse en industrie !
Oui ! Inhabituel à l’époque… C’était le début de la collaboration académie-industrie !
Et vous avez aussi publié vos résultats ?
Oui, au total, j’ai publié une quinzaine d’articles; c’était une activité enrichissante, mais qui ne représente pas ma motivation principale. Par contre, j’ai été reviewer pour un journal ; cette activité m’a plu davantage.
Vous avez allié travail et études. Est-ce que vous avez encore réalisé d’autres choses ?
La famille bien sûr; cela prend beaucoup de temps, mais contribue à votre équilibre… et à relativiser les choses.
Vous considérez-vous comme une pionnière dans votre parcours professionnel ?
Je ne m’en rends pas compte. A l’époque, les biologistes commençaient soit à travailler après le Diplôme (actuellement le Master), soit ils continuaient avec un doctorat, puis partaient faire un post-doctorat aux Etats-Unis. A l’institut Glaxo, j’observais l’effet inverse : c’était les Américains qui venaient travailler ici. Il est vrai que les USA étaient un peu à l’avance, dans le sens où ils sont très dynamiques avec un esprit entrepreneur. Ici, cela a commencé dans les années 90, avec le Prof. Aebischer, l’un des pionniers dans la création d’une start-up dans le domaine des sciences de la vie.
C’est à cette époque qu’une jeune entreprise provenant de l’EPFL m’a approchée pour me proposer un nouveau poste ; mon expérience en électrophysiologie les intéressait. J’ai donc quitté mon poste chez Serono, pour devenir la personne responsable d’une équipe de quatre biologistes. Une société américaine a finalement racheté cette start-up, pour, deux ans après, la déplacer en Californie, laissant ainsi la majorité d’entre nous sans emploi. Il a fallu rebondir, et je me suis lancée dans une formation MBA à temps plein pendant 1 année.
Vous êtes maintenant fondatrice et manager de W Life Sciences, comment avez-vous réalisé cette transition ?
Après le MBA, j’ai obtenu un poste de responsable d’affaires chez Debiopharm à Lausanne. Ma mission était celle d’acquérir auprès des universités et entreprises des licences de projets de recherche en phase pré-clinique, puis, une fois développés en phase I ou II, de les revendre aux grandes pharmas. Mon équipe évaluait un peu près mille projets par an dans toutes les aires thérapeutiques, en collaboration avec nos experts internes. C’était passionnant…mais je commençais à sentir l’envie d’affronter un nouveau défi. A cette époque, marquée par des nouveaux enjeux stratégiques et des changements, diverses biotechs m’ont abordée pour obtenir des conseils business; j’ai alors compris que, d’un côté, mon expérience industrielle pouvait apporter un plus aux start-up, et que, de l’autre, mon réseau intéressait les pharmas… C’est donc ainsi que j’ai décidé de créer ma propre société!
Faites-nous découvrir votre métier…
J’aide de petites biotechs à développer leur activité business. Par exemple, l’un de mes clients est une entreprise américaine qui a un projet en oncologie en phase I. L’objectif est de trouver des partenaires pour développer ce produit prometteur. Je les soutiens pour la mise en place des présentations, les informe des besoins des pharmas, et cible les compagnies les plus à même d’être intéressées par leur produit: ceci en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. De leur côté, les pharmas me consultent lorsqu’elles sont à la recherche de projets innovants.
En tant qu’experte indépendante, j’ai aussi établi une collaboration avec la fondation Skolkovo basée en Russie, à Moscou. Le Skolkovo Innovation Center est un parc technologique qui héberge 1500 compagnies, dont 250 dans le domaine des sciences de la vie. Ils reçoivent beaucoup de candidatures; j’évalue le potentiel des jeunes entreprises, et joue aussi le rôle de mentor pour l’une d’entre elles.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées?
Je ne les percevais pas ainsi, parce que c’était quelque chose de nouveau et de passionnant. En fait, j’ai saisi les opportunités qui m’étaient présentées! Il ne faut pas avoir peur de l’inconnu, d’aller de l’avant; on peut se tromper, mais cela apporte toujours une expérience.
Vous lisez beaucoup ?
Il faut se tenir au courant de tout et très vite. On doit passer rapidement d’un domaine (thérapeutique ou technologique) à un autre. Non seulement la littérature scientifique est importante, mais aussi d’autres aspects, comme par exemple les brevets, les règlements, les compétiteurs, les procédures de remboursement, la toxicologie…
Quelles sont les compétences nécessaires à une carrière telle que la vôtre ?
Un mélange de curiosité, de passion et de persévérance, avec un zeste d’audace pour sortir des sentiers battus ! Dans ma branche, il est aussi très important d’arriver à évaluer le travail des scientifiques et leur apporter ce contexte business dont ils n’ont pas forcément acquis l’expérience. Mais plus que tout, il faut aimer son travail. Et les défis me motivent profondément.
Pensez-vous que votre profil est de plus en plus recherché par les entreprises ?
Oui, dans le contexte actuel, les grandes entreprises pharmaceutiques développent de moins en moins de recherche en interne. Par contre, elles vont rechercher des projets provenant des petites entreprises. Ces dernières sont créées par des chercheurs sortant de l’université avec des projets innovants. Comme ils n’ont pas d’expérience industrielle, ces derniers ont besoin d’un soutien externe (pas forcément d’une personne à plein temps), de conseils et d’un réseau. Entre les grandes pharmas et les petites biotechs, des interfaces sont nécessaires pour mettre en contact les bonnes personnes avec les bons projets.
Et votre doctorat, a-t-il été un plus pour vous ?
Oui, sans aucun doute. Quand j’ai annoncé que j’allais mener un doctorat au sein de l’institut, la plupart des collègues m’ont dit : « Mais qu’est-ce que tu vas t’embêter à faire un PhD, c’est trop compliqué ! ». Mais ensuite, ils m’ont beaucoup soutenue et encouragée; j’ai senti que j’avais gagné leur estime. Ce grade m’a permis d’accéder à des postes qui requièrent plus de responsabilités.
Quel est votre conseil aux étudiants au sujet de l’entreprenariat ?
Si vous avez un projet excellent, battez-vous ! Seuls certains vont réussir, mais si vous avez une idée de qualité et parvenez à obtenir le soutien approprié, alors, il faut se lancer… En n’oubliant pas de s’entourer des bonnes personnes ! L’Université est là aussi pour former des gens qui créeront leurs entreprises. Mais, tout le monde n’a pas forcément envie de cela ! Nous aurons toujours besoin d’excellents chercheurs au niveau académique pour comprendre les mécanismes liés aux sciences de la vie.
Quelles sont les personnes ou expériences qui ont déterminé votre parcours ?
Une personne qui a joué un rôle important dans ma vie a été le Directeur de l’institut Glaxo, qui m’a proposé de faire ce doctorat. Il m’a lancé un défi, et a su me faire confiance. Le fait de rejoindre une start-up, quand vous êtes dans une entreprise très prospère et que vous gagnez bien votre vie, est un sacré challenge. Créer ma propre société est aussi une décision qui a nécessité une bonne dose de courage. A mon tour maintenant de donner un coup de pouce aux entreprises prometteuses.
Dans tout ça, est-ce que vous avez un hobby ?
J’étais très sportive, mais ensuite j’ai été happée par le travail et la famille. Maintenant je reviens au sport tel que le tennis. J’ai aussi l’occasion de voyager plusieurs fois par année, et là encore il y a toujours des découvertes à faire.
Vous aviez cette vision, de créer votre propre entreprise à un moment donné ?
Pas du tout ! Au début, on est assez conformiste. Mais, je trouvais déjà le contexte industriel particulièrement motivant. J’ai dû beaucoup apprendre et gagner de la confiance pour en arriver là.
Un lieu qui vous a marqué à l’UNIL?
Je me souviens surtout du contraste entre le Palais de Rumine situé à la Riponne, au début de ma formation universitaire, et le tout nouveau Collège propédeutique. Dans le palais de Rumine, on avait des vieux labos, ainsi qu’un amphithéâtre de 50 places. Il y avait un seul banc par ligne, et donc, lorsqu’un étudiant se levait, toute la rangée d’étudiants devait se lever… Le bois craquait de partout ! Pas possible de s’endormir…Toutefois, j’adore ce que Dorigny est devenu : un lieu plein de vie et d’une grande diversité.
Article: Laura De Santis
Photo: Milena Metzger
Une publication de l’Ecole doctorale de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.